Un mur dans la ville

"Le projet Courbe Voie affiche la volonté d’implanter les plus hauts immeubles le long du boulevard de Wallonie. L’émergence d’un front bâti tendra à la requalification de cet axe routier en boulevard urbain tout en constituant une barrière acoustique entre l’axe de transit et le nouveau quartier." (EIE Courbe Voie page 15)

Vue extraite de l'étude d'incidences

L'arrogance du lotissement Courbe Voie n'en finit pas de nous indigner.
Il a son avant, au soleil, les pieds ballants le long d'un jardin agrémenté de jolies mares; il a son arrière, son grand derrière, au nord, adossé au boulevard, projetant son ombre sur les petits riverains d'en face, les privant à jamais du soleil des matins d'hiver, de la vue des arbres et du paysage urbain. Courbe Voie a poussé l'insolence à son comble en affublant cette muraille arrière de quelques tours portant le joli nom de "tours solaires". C'est vrai, le soleil continuera de briller de tout son éclat pour les propriétaires de devant et d'en haut, mais leur ombre révoltante se portera sur les maisonnettes de derrière et d'en bas. Après tout, ce ne sont que des maisons sociales.

Et puis, il y a l'air, cet air qu'on respire, cet air qui vient du bas de notre "axe de transit" de plus en plus fréquenté le soir, le samedi et les jours de soldes par les clients et les badauds de notre cher complexe commercial auto-routier. Mais cet air là, Madame, c'est peu de chose. Le vent est là qui le balaie et le disperse où il veut. D'ailleurs on va vous en remettre un peu, tiens, du mal air, je veux dire, celui des cinq étages de parkings souterrains qui ont besoin d'air frais. L'air frais, on le prendra devant, du coté du parc car le bon air n'y manque point. Le mal air, c'est toujours par l'arrière, vous savez bien, c'est écrit dans notre anatomie. Après tout, à l'arrière, il n'y a que quelques maisons sociales et des appartements qui le sont tout autant.

-Mais le bruit, Monsieur, y avez-vous pensé au bruit du charroi sur le boulevard. C'est le printemps, venez, je vous invite à prendre une tisane au jardin.
-N'exagérons rien, Madame, on est en ville après tout, il fallait s'y attendre. Et encore, on est gâtés, une ville piétonne ne vous déplaise. Dénénagez si vous trouvez mieux ailleurs.  Quelques voitures en plus, vous en faites tout un plat. Pensez à cet éco-quartier, son éclat, sa renommée qui s'entend à la ronde. Face à notre barrière acoustique, on vous mettra quelques amortisseurs de son si le coeur vous en dit.
-Vous nous raillez, Monsieur, du haut de vos étages. Nous ne sommes que poussière à vos talons. C'est normal après tout car chez nous, ce ne sont que des maisons sociales.

Dans vos silences arrogants, il y a des pensées qui trichent et qui blessent. Vous clamez: "Nimbisme que tout cela!" et passez votre chemin, hautains. Du revers de la main, vous balayez l'espace et ignorez les gens. Vous dressez un long mur en plein coeur de notre ville pour séparer la lumière et le silence des riches de l'ombre et du bruit des petits. Vous vous valez de la dalle et des dérogations, Vous ignorez les règles quand bon vous semble et avez le bras long quand cela vous convient. Vous occupez la place sans autre raison que de paraître et rester maîtres d'un domaine que vous avez reçu non pas pour en faire vot´ beurre mais pour le mieux-être des gens d'ici et d'ailleurs. Et pour parfaire votre oeuvre, vous n'avez trouvé mieux que de loger les étudiants à l'arrière, du coté de l'ombre, du côté du bruit, du côté du charroi, du coté de chez nous. Pas grave, qu'est-ce donc pour un student que de vivre dans l'ombre d'un boulevard qui pue à deux pas de nos maisons sociales.

Les indignés de l'ombre

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